Enseigner l’histoire du Québec au collégial, une nécessité!
Pour les enseignantes et enseignants d’histoire du milieu collégial québécois, le constat se confirme de session en session : nous formons des cohortes de cégépiens de plus en plus étrangers à leur propre société et à leur histoire. En effet, pour les quelques 194 000 étudiants collégiaux inscrits dans un programme au cégep à l’automne 2025, une longue traversée du désert exempte de contenu québécois s’amorce où le Québec, son histoire, sa culture et ses réalités multiples sont cruellement absents des cursus.
La tendance est lourde : les jeunes Québécois et Québécoises s’intéressent de moins en moins à leur culture. Les données récents de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ) indiquent clairement que les jeunes de 15 à 29 ans écoutent peu de musique québécoise et ne visionnent pratiquement pas de films ou de séries québécoises. Le même constat peut s’étendre à la connaissance de l’histoire du Québec. À qui la faute? Aux jeunes? Certainement pas. On ne peut reprocher à quelqu’un de ne pas connaître ce qu’on ne lui a pas montré. Pour s’intéresser au Québec, encore faut-il y être exposé! Et, à cet effet, un effort soutenu doit être fait dans le réseau collégial québécois.
La disparition tranquille de l’objet Québec
Le réseau des cégeps s’est construit à la fin des années 1960 autour d’une vision humaniste de l’éducation où tant les étudiants des programmes techniques que préuniversitaires étaient appelés à devenir des citoyens actifs, responsables, curieux et critiques. En bref, le Cégep doit fournir un socle culturel commun aux futurs médecins, enseignants, techniciens en laboratoire ou éducatrices à la petite enfance. C’était la vision du regretté Guy Rocher, membre de la Commission Parent, qui vient de nous quitter. Au fil du temps, force est de constater que nous nous sommes collectivement éloignés de sa vision.
Au gré des réformes et des révisions de programmes, la place laissée au Québec comme objet d’étude scientifique a fondu comme neige au soleil. Le cas des cours d’histoire est particulièrement frappant : alors qu’on dispensait un cours d’histoire du Québec dans tous les programmes de sciences humaines du réseau collégial à ses débuts, aujourd’hui, seulement le tiers des cégeps offrent un cours d’histoire du Québec. En effet, un étudiant de sciences humaines peut suivre un cours d’histoire du Québec seulement dans 15 des 45 cégeps francophones du réseau collégial! Parfois, on triche même un peu en associant l’histoire du Québec à un autre sujet : histoire des Amériques, histoire régionale, etc. Souvent au choix et donc en compétition avec d’autres cours attrayants, ces cours ne rejoignent qu’un très faible nombre d’étudiants. Pour finir, le résultat est pratiquement le même partout : le détenteur d’un diplôme d’études collégiales (DEC) n’aura étudié le Québec que dans son cours de Littérature québécoise où l’accent est fortement mis sur la préparation à l’Épreuve uniforme de français (ÉUF).
Les conséquences de cette absence généralisée du Québec comme objet d’étude dans le réseau collégial sont nombreuses. D’abord, nous ratons collectivement la fenêtre pour donner la piqûre aux jeunes. Le réflexe de lire un livre québécois, de s’intéresser à un événement de l’histoire du Québec, d’écouter de la musique québécoise se développe souvent dans une salle de classe d’un cégep. Ensuite, la faible exposition au contenu québécois dans les programmes d’études au collégial sont appelés à se poursuivre à l’université. Les programmes universitaires où l’on fait la part belle à l’étude du Québec et de sa société recrutent avec misère. Enfin, la recherche scientifique sur les études québécoises subit les contrecoups de ce désintérêt. Concrètement, le financement de la recherche sur le Québec est plus difficile. Donc, en bout de ligne, il y a moins d’études scientifiques et de publications portant sur la société québécoise et les universités engagent moins de spécialistes du Québec comme professeurs. Nous sommes en plein cœur d’un cercle vicieux.
Un cours d’histoire du Québec obligatoire au collégial : un geste fort
Une solution existe pour renverser la tendance. Depuis 2010, l’Association des professeures et professeurs d’histoire des collèges du Québec (APHCQ) milite pour la création d’un cours d’histoire du Québec à la formation générale. En 2012, un sondage Léger révélait un fort consensus dans la population face à ce projet : 73% des répondants estimaient important qu’un cours d’histoire du Québec soit obligatoire pour tous les cégépiens! Le projet était en voie d’être mis en œuvre en 2014 lorsqu’il a été mis sur la glace par le gouvernement Couillard. Plus de 10 ans se sont écoulés et le problème n’a fait que s’aggraver.
L’histoire, avec sa méthode rigoureuse basée sur la critique de sources primaires et secondaires, est le meilleur véhicule pour amener de futurs citoyens à mieux comprendre la société dans laquelle ils évoluent : leur société. Analyser les conséquences de la Révolution Tranquille, les relations avec les Premiers peuples, les connexions internationales des rébellions des Patriotes dans un cours d’histoire au collégial serait galvanisant.
Il devient urgent d’amorcer une réflexion en profondeur sur la formation générale collégiale afin d’y inclure un cours sur l’histoire du Québec. Le projet répond à un besoin criant. Les profs sont prêts à relever le défi. Les étudiants méritent de connaître l’histoire de la société dans laquelle ils sont appelés à jouer un rôle. Nous ne pouvons continuer à nier le problème; il faut agir.
L’APHCQ interpelle donc l’ensemble des partis politiques de la scène québécoise afin qu’ils incluent ce projet à leur programme. De plus, nous en appelons à la société civile afin qu’elle se fasse entendre. Un cours d’histoire du Québec est le lieu désigné pour connaître, étudier, critiquer et découvrir la société dans laquelle nous vivons. Il n’y a pas de meilleure école à la citoyenneté et, pourtant, les cégépiens du Québec en sont privés. Remédions à la situation.
Guillaume Breault-Duncan (président), Nicholas Bourdon, Vincent Duhaime, Caroline Gallant, Karine Gemme, Rosalie Grimard-Mongrain, Jeremy Scraire
Membres de l’exécutif de l’Association des professeures et professeurs d’histoire des collèges du Québec (APHCQ)
